Crime à Kercavès

 

L'affaire

En 1931, Armand Calvar, 57 ans, originaire de Rédené et son épouse née Jeanne Jan, 52 ans, originaire de Pont-Scorff, vivent avec Jean, 18 ans, le dernier de leurs 8 enfants. Ils habitent à Kercavès, à six cents mètres des Quatre-Chemins, une petite maison couverte de tuiles, appelée la "Maison Rouge". Elle est isolée de tout, au centre d'un bois de sapins, des ajoncs, des champs de choux et des carrières. Un muret entoure la maison ainsi qu'un jardin de cultures entretenues par Armand Calvar.

 

Armand Calvar et Jeanne Jan se sont mariés le 17 avril 1898 à Pont-Scorff, puis se sont installés à Locmaria en Guidel avant de venir à Kercavès en 1929. Leur famille nombreuse se compose de :
        Marie Anne, la fille ainée, épouse Gourvellec, 32 ans, habite Locmaria en Guidel ;
        Julien 31 ans, est garçon de café à Paris ;
        Françoise 27 ans, épouse Scolan, habite rue Victor Hugo à Lorient ;
        Joseph 27 ans habite également à Locmaria ;
        Jean-Marie 24 ans, garde mobile à Lambézellec, près de Brest, est de passage chez ses parents ;
        Rosalie 22 ans, épouse Le Corre, demeure à Locmaria ;
        Maria habite aussi à Guidel ;
        Enfin, Jean 18 ans, habite chez ses parents à Kercavès.

 

Armand Calvar est un petit maraicher. Comme tous les mercredis, le 4 novembre 1931, jour de marché, il part à Lorient vers 8 heures du matin. Son fils, Jean, comptable au port de pêche est déjà parti depuis une demi-heure.
Comme d'habitude, la mère de famille vaque à ses occupations dans sa maison.
Après avoir passé la matinée place Alsace-Lorraine à vendre ses légumes, Armand Calvar apporte des poires à M. et Mme Corn, amis intimes demeurant rue de Liège, et accepte une petite collation avant de rentrer chez lui.

 

Le midi, Jean Calvar vient toujours déjeuner chez ses parents. Il est midi vingt lorsqu'il pousse la barrière verte du jardin. A l'ouverture de la porte de la maison, il découvre un spectacle insoutenable, crie, appelle au secours. Les voisins accourent.
Le cadavre de sa mère, la tête fracassée, git dans une mare de sang au milieu d'un grand désordre. Trois chaises brisées témoignent de la violence de l'agression. Les meubles ouverts ont été fouillés. Leur contenu est éparpillé sur le sol.
Lorsqu'Armand Calvar arrive vers 13 heures 30, son fils Jean lui apprend la terrible nouvelle.

 

Début de l'enquête

Les gendarmes Le Poul et Le Trécasser, de Plœmeur, arrivés sur les lieux commencent leur enquête, tandis que le docteur Rio examine la victime.

On signale un individu peu recommandable vu près des Quatre-Chemins au moment du crime. Son signalement est communiqué à toutes les brigades des environs, à la police de Lorient et à M. Pujol, inspecteur principal de la brigade mobile de Rennes, en mission à Lorient. Il est rapidement interpellé dans un café des Quatre-Chemins, ainsi qu'un autre individu.

 

Monsieur Coutillard, maire de Larmor-Plage et le capitaine de gendarmerie Degouey se rendent sur le lieu du crime. Le parquet de Lorient se transporte à Kercavès. Le procureur Henriot est accompagné de M. Barberet, juge d'instruction, du docteur Dorso, médecin légiste et de M. Hénaff, commis-greffier.

Les magistrats procèdent à l'audition de plusieurs personnes dont bien sur Jean Calvar qui a découvert le corps.

L'autopsie révèle que Mme Calvar avait digéré sont petit-déjeuner, ce qui situe le crime entre neuf heures et dix heures et demie. Toutefois, il aurait pu avoir lieu plus tôt, car elle n'avait pas encore fait son lit, n'avait pas donné à manger aux lapins et ne s'était pas coiffée.

 

Les enquêteurs pensent que le crime a été commis avant la mise à sac de la maison, par une personne qui connaissait les habitudes de la famille et que le vol en est le mobile.
Un couteau à très longue lame a servi à porter huit coups, dont l'un mortel à l'artère fémorale. Un billot a pu servir à assommer madame Calvar avant de la poignarder, ou à l'achever après les coups de couteau.

Le voisinage n'a rien entendu.

Son crime commis, l'assassin fouilla les meubles en vain sans découvrir un portefeuille contenant mille francs qui se trouvait dans un tiroir de la table.

Cet assassinat rappelle le crime commis le 2 décembre 1928 au Gaillec en Keryado et resté impuni.

Dans la nuit précédant le drame, des rodeurs passèrent à proximité de la Maison Rouge.

 

Les obsèques de la victime ont lieu le samedi 7 à neuf heures en l'église N.-D. de Larmor. Le deuil est conduit par Armand Calvar, ses fils et ses gendres. M. Coutillard, maire, plusieurs conseillers municipaux et de nombreux notables assistent à la cérémonie célébrée par M. Le Néchet, recteur de Larmor.

 

 

Premières interpellations

Les deux individus arrêtés le jour du crime ont été relâchés. L'un assez rapidement et le second après un long interrogatoire. La gendarmerie et les services de police concentrent leurs recherches dans les milieux douteux.

A Hennebont, le gendarme Scanvic, en tournée de contrôle aperçoit un individu qui semble ne pas vouloir se faire remarquer. Après avoir avoué être en état de vagabondage, il est arrêté et conduit à la gendarmerie où il est interrogé.
Il se nomme Guillery, 41 ans, né à Landes dans le Loir-et-Cher et il vient de Paimboeuf. Il a des blessures au visage et ses vêtements sont couverts de sang. Il explique que le 4 novembre dans la soirée, il s'est bagarré avec trois marins sur le Pont-Tournant à Lorient. Il s'est ensuite présenté au poste de police pour y être soigné.
Le fait que ce vagabond, ancien légionnaire, ancien pensionnaire d'un asile d'aliénés se soit présenté au poste de police le soir du crime est de nature à laisser penser qu'il est étranger au drame.
Ecroué pour vagabondage à la maison d'arrêt, on étudie tout de même son passé. Il s'avère que la rixe avec des marins était sans gravité, par contre il avoue être l'auteur des coups de rasoir portés à un docker et c'est là qu'il fut blessé.

Les brigades de gendarmerie de Plœmeur, Lorient, Port-Louis, Hennebont et Pont-Scorff sont mobilisées sous les ordres du capitaine Degouey qui coordonne les recherches.
Les inspecteurs Pujol, Salliou et Thomas de la brigade mobile sont dirigés par M. Peyrousère, commissaire divisionnaire, chef de la police mobile de Rennes.
Tous les renseignements sont soumis à un examen attentif. Tous ceux qui savent quelque chose sont appelés à le faire connaître au Parquet de Lorient.

 

 

Cadic, coupable affabulateur

A Locmiquélic deux jours après le drame, le bruit circule qu'Armand Cadic, 26 ans, ouvrier boulanger, affirme connaître les auteurs du crime. Rapidement interpellé par la gendarmerie, il raconte :
"Mercredi, je me trouvais au débit R…. aux Quatre Chemins. J'ai bu en compagnie de R… et de H… Nous sommes partis ensemble vers Kercavès. Là, tandis que H. . . qui ne me savait pas derrière lui faisait le guet, R. . . entrait dans la maison et assassinait Mme Calvar".
De témoin, il apparait alors comme complice. Lui aussi avait fait le guet pendant que R. . . commettait le crime. Il assure avoir refusé de partager le butin qui s'élevait à 1600 F et donne des précisions sur le drame.

Interrogé de nouveau le lendemain, il confirme sa complicité, mais à force de vouloir donner des détails, il finit par dire des invraisemblances :
- le crime aurait été commis au deuxième étage, alors qu'il n'y a qu'un rez-de-chaussée ;
- R. . . serait sorti par la porte de derrière, alors qu'il n'y en a pas ;
- il serait arrivé à Larmor après avoir pris le bateau jusqu'à Lorient, mais aurait payé la traversée un prix invraisemblable.
Puis il tombe en proie à une crise d'épilepsie. Tout ce qu'il a raconté n'est que le fruit de son imagination.

 

Dans la nuit de samedi à dimanche, une vaste rafle est organisée à Lorient vers l'ancienne criée, sur les quais et du côté du port de pêche. On vérifie l'emploi du temps d'une quarantaine de sans logis, mais aucune arrestation n'est opérée.

La maison Calvar ainsi que ses abords ont été minutieusement fouillés. L'arme du crime, le couteau, reste introuvable.

Armand Calvar ne veut plus vivre dans la maison où sa femme a été sauvagement assassinée. Il est parti habiter avec son fils un peu plus loin, au village de Kercavès, dans un local que lui loue M. Esvan.

 

 

Kervio, coupable idéal

Le 15 novembre, un individu nommé Joseph Kervio, 25 ans, faisant l'objet d'un mandat d'amener pour un cambriolage commis à Lorient le 30 octobre et ayant rodé dans la région de Plœmeur est arrêté. Son casier judiciaire porte déjà plusieurs condamnations pour vol et pour coups. En 1927, à Port-Louis, il avait attaqué chez elle une infirme de 27 ans, sourde et muette qui ne dut son salut qu'à l'arrivée rapide de voisines accourues à ses cris. Kervio est donc un voleur, un violent, un sadique et un individu particulièrement audacieux.
Interrogé par les inspecteurs Pujol et Saliou, il reconnait avoir fréquenté les débits des Quatre Chemins les jours précédents le crime. Mais il se déclare totalement étranger à l'assassinat de Mme Calvar et au vol dont on le soupçonne. Ses souvenirs, quant à son emploi du temps, sont très imprécis.
Par tous les moyens, il cherche à se procurer de l'argent. Avant le 4 novembre on le rencontre fréquemment aux Quatre Chemins, accompagné de deux individus. Il parle de la Maison Rouge. Il dit qu'il faut qu'il fasse un coup qui lui permette de prendre le large et qu'il lui faut au moins mille francs. Fait troublant, après le 4, on ne le voit plus nulle part.
Kervio et son compagnon sont-ils les deux individus suspects aperçus le matin du crime, qui se lavaient le long du Ter près de Kermélo ?
Les révélations de Kervio font l'objet de nombreuses investigations.

 

Tous les jours, la presse rend compte largement de l'évolution de l'enquête :
Ce qui rend Kervio, suspect, ce sont les coïncidences qui rapprochent son passé, les propos qu'on lui impute, son inexplicable activité dans la région de Plœmeur avant le crime et enfin le soin inquiétant qu'il mettait à se soustraire à tout contact avec la police et la gendarmerie.

 

Depuis deux semaines, avec une activité à laquelle il doit être rendu hommage, les enquêteurs ont poursuivi sans relâche leurs recherches.
L'opinion publique doit se montrer patiente et ne pas se laisser énerver par toutes les rumeurs colportées à tort et à travers.

 

Mais les policiers sont maintenant convaincus que Kervio est étranger au crime de la Maison Rouge. Il reste néanmoins détenu en vertu du mandat d'arrêt dont il fait l'objet.

 

 

Armand Calvar soupçonné

Un mois après le crime, comme tous les mercredis, le 2 décembre, Armand Calvar est au marché à Lorient. Un mouvement de curiosité hostile se crée autour de lui. Des propos malveillants lui sont adressés. Une vive altercation se produit avec des femmes venues au marché. Calvar ne supporte plus cette tension et quitte sa place à dix heures trente.

Le même jour à 15 h 30, il est appréhendé à son domicile pour être interrogé. Les inspecteurs Pujol et Saliou sont accompagnés de deux gendarmes, ainsi que du maire et de MM. Chailloux et Derrien, conseillers municipaux. Ils arrivent à la gendarmerie de la rue de Larmor où le capitaine Degouey les attend.
Un certain nombre de charges pèsent contre Calvar. L'enquête a révélé que la vie au sein du couple Calvar était loin d'être aussi paisible qu'on l'imaginait. Des incidents violents se produisaient fréquemment. Apre au gain, économe de ses deniers, très dur, Calvar se serait à plusieurs reprises montré d'une grande brutalité, à tel point qu'une de ses filles avait fui le domicile familial.
Une dernière altercation aurait eu lieu le jour même du crime au sujet d'un manteau que Mme Calvar voulait acheter à son fils.
En outre, certaines déclarations faites par Calvar le jour du crime se trouvèrent démenties par la suite, créant des soupçons à son encontre. En effet, il prétendait avoir déjeuné avec sa femme, alors que l'autopsie a révélé qu'elle n'avait rien mangé.
Le soir du crime, Armand Calvar avait dormi chez madame Guillerme qui le lendemain matin a découvert des traces de sang sur un drap. . .
Une faucille, découverte dans un tas de lande huit jours après le drame, que réclame Calvar prétendant que l'assassin avait dû la lui prendre. Mais après une semaine passée dehors sous la pluie, elle n'est pas rouillée !

 

L'interrogatoire dure 12 heures, jusqu'au lendemain matin, mais sans résultat. Calvar se défend en affirmant son innocence : "ce n'est pas moi". Le parquet estime au vu de ces éléments qu'il n'est pas possible de lancer un mandat d'amener. Calvar est libre. Il se rend d'abord chez sa fille, Mme Scolan, rue Victor Hugo, où se trouve également son fils Jean.
Le journaliste du "Nouvelliste du Morbihan" s'y rend pour l'interviewer. On ne manque pas d'être frappé de la tendresse dont ils semblent entourer leur père dans les graves circonstances dans lesquelles il se débat.
C'est une infamie que d'accuser mon père déclare Jean.
On dit que nous, ses enfants, nous le soupçonnions, c'est faux ! Vous ne pouvez savoir à quel point cette histoire nous afflige. Nous avons perdu notre mère et on veut encore déshonorer notre famille ! continue sa sœur.
Armand Calvar parle de son interrogatoire. Je leur disais : tuez-moi si vous voulez, mais vous ne me ferez pas dire que j'ai tué ma femme. Si c'était vrai, je le dirais.
Il fournit des explications très plausibles aux charges que les enquêteurs avaient retenues contre lui.
Puis il regagne Kercavès accompagné par les gendarmes pour prévenir toute manifestation hostile de la foule.

 

 

Un crime demeuré inexpliqué

Le 9 décembre, la presse écrit que le dernier mot de cette mystérieuse affaire appartient aux services de l'identité judiciaire. L'instruction se poursuit.

 

Cinq mois après le drame en avril 1932, aucun fait nouveau n'a été révélé. L'examen des documents et pièces à convictions envoyés à l'identité judiciaire à Paris n'ont apporté aucune indication utile.

 

L'assassin n'a jamais été découvert.

Le crime de la maison rouge ne sera jamais résolu.