Fin du pont suspendu
et
Construction d'un pont fixe
Projet de construction d'un nouveau pont
Le 14 décembre 1906, l'agent voyer en chef Bidu présente un projet de substitution au pont suspendu actuel d'un pont en maçonnerie de 15 mètres d'ouverture. Le moment semble venu de se préoccuper du remplacement de ce pont par un ouvrage robuste, à double voie charretière, muni de trottoirs, permettant de satisfaire en toute sécurité à tous les besoins d'une circulation intense.
M. Lebert, ingénieur en chef des ponts et chaussées, considère que le débouché doit être plus important, qu'il faut aussi se préoccuper de la navigation sur le Ter et des pêcheurs.
Mais l'agent voyer en chef considère que l'on n'a pas à se soucier d'une navigation qui n'existe pas ou des quelques pêcheurs par passe-temps, que la levée projetée ne saurait contrarier pour le passage de leur plate.
Le 22 avril 1907 après une étude approfondie, l'ingénieur ordinaire des ponts et chaussées conclut qu'il serait désirable d'accroitre la portée de l'ouvrage et de lui donner une ouverture de 25 mètres.
L'usage des voitures automobiles se répand de plus en plus. La puissance des moteurs leur permet de transporter des poids bien supérieurs à celui de 600 kilos. L'agent voyer cantonal signale que si ces voitures fatiguent moins les organes de suspension que celles à traction animale, le passage se faisant sans à-coups, il y a lieu dans un but de sécurité d'en réglementer la circulation sur le pont suspendu de Kermélo.
Le 14 octobre 1907, le préfet F. du Chaylard prend un arrêté précisant que les voitures automobiles autorisées à circuler sur le pont ne devront pas excéder le poids de 1200 kg et devront passer à la vitesse d'un cheval au pas.
L'administrateur de l'inscription maritime émet un avis favorable aux travaux projetés sous réserve que la question de la navigation par l'unique ouverture soit examinée au point de vue de la force des courants.
L'ingénieur des travaux hydrauliques estime que la digue projetée contenant une arche en plein cintre de 15 mètres d'ouverture gênera sérieusement la navigation. Il est d'avis de demander un agrandissement du débouché offert aux courants qui devrait être porté au moins à 25 mètres.
Ces conclusions concordent avec celles des ponts et chaussées qui, comme représentants du ministère de l'intérieur et du ministère des travaux publics, ne peuvent que se ranger à l'avis de la Marine.
L'ingénieur des Ponts écrit au préfet qu'il est nécessaire de demander au service vicinal de modifier son projet de manière à donner satisfaction aux observations contenues dans le rapport du représentant de la Marine.
Mais M. Bidu refuse de modifier son projet, affirmant qu'au lieu de prétendre que le débouché projeté est notoirement insuffisant, il serait plus rationnel de le démontrer. Néanmoins en janvier 1908 il propose l'édification de deux arches en plein cintre de 15 mètres d'ouverture, à établir à chaque rive du cours d'eau, sur un fond solide que paraissait avoir révélé les sondages effectués en 1905 et 1906 à l'amont du pont actuel.
Le service de l'inscription maritime, le directeur des travaux hydrauliques, le directeur du génie à Brest, le directeur des domaines, le ministre de la Marine et celui des travaux publics adhèrent à l'exécution des travaux projetés.
Mais les derniers sondages effectués conduisent à faire de nouvelles fouilles et à envisager un troisième projet nécessitant une modification du tracé du chemin d'accès au pont. Le milieu de la rivière sera comblé pour y établir une digue et une chaussée. L'eau passera sous deux arches en maçonnerie, de 15 mètres d'ouverture, entre cette digue et chaque rive.
Le coût est évalué à 135 000 francs. L'état y contribuerait pour 36,35%, Le reste serait partagé entre le département 30%, la ville de Lorient 45% et la commune de Plœmeur 25%.
Lors de l'enquête à Lorient du 14 au 16 septembre 1909, on n'enregistre que deux réclamations.
- Madame veuve Le Coupanec, propriétaire du château de Kermélo proteste contre le projet dont le tracé porte préjudice à ses terres et s'oppose énergiquement aux fantaisies de M. l'agent voyer Bidu.
- M. Le Guenezan proteste également contre le projet qui aurait pour effet de surélever de 3 m sa maison au-dessus du niveau de la route.
Les conclusions du commissaire-enquêteur sont très défavorables. Considérant que le projet de rectification semble très compliqué et fort onéreux, il exprime le désir de voir rejeter son adoption et s'associe aux protestataires.
Le conseil municipal de Lorient, saisi du projet de rectification du chemin, est d'avis de s'associer aux conclusions du commissaire-enquêteur.
Deux mois plus tard l'enquête a lieu à Plœmeur où huit riverains protestent contre le projet.
En conclusion, le commissaire enquêteur est d'avis :
- que le pont projeté soit construit sur l'emplacement du premier projet mais avec une seule arche de 25 m d'ouverture ;
- que si la construction de ce pont est nécessaire c'est surtout pour la défense du littoral (Marine et Guerre) et pour le passage des troupes se rendant au polygone de Kercavès, aussi la part de l'état devrait-elle être augmentée.
Quant au conseil municipal de Plœmeur, il émet le vœu que le pont soit un pont unique à l'emplacement ou aux approches du pont actuel, de 20 à 25 mètres d'ouverture et de 6 mètres de largeur au moins relié aux deux rives du Ter par deux chaussées, et que le tablier soit suffisamment élevé pour supprimer les deux pavillons qui donnent accès au pont suspendu et que la route soit rectifiée de façon à supprimer le coude actuel si dangereux pour la circulation.
Il demande également que la charge tolérée pour les voitures de charrois soit portée à 1200 kilos.
Dans son rapport d'inspection du 27 décembre 1909, M. Boncorps, inspecteur général de la vicinalité apporte un soutien appuyé à M. Bidu. Il estime que son projet est une solution excellente. Le fait qu'on a été obligé de tâtonner pour déterminer le lieu d'implantation du nouvel ouvrage n'autorise personne à prétendre qu'il ne savait pas ce qu'il voulait. Il faut être bien incompétent pour croire possible de déterminer à priori l'emplacement d'un ouvrage important lorsque le terrain est aussi difficile…
Le 20 janvier 1910, dans un très long rapport, M. Bidu, répond point par point à toutes les objections soulevées lors des enquêtes et délibérations des conseils municipaux. L'intérêt public, quoiqu'il en coûte, doit primer l'intérêt personnel avec le souci de l'économie des deniers publics.
En conclusion, il affirme que les protestations émises lors de l'enquête ne sont pas susceptibles d'être prises en considération et ne sauraient suffire à faire avorter un projet dont l'économie n'est pas contestable.
Le 10 mai 1910 au conseil général, la reconstruction du pont fait l'objet de vifs échanges.
M. Bouligand : Je crains qu'avant que les plans ne soient prêts, le pont actuel ne soit démoli et inutilisable.
M. Nail : Je constate que les observations de M. le Préfet ne sont pas de la première heure. Les conseils municipaux de Lorient et de Plœmeur ont exprimé leur avis depuis deux ou trois mois. Tous deux ont été unanimes à reconnaitre que le projet présenté ne pouvait être accepté et qu'il fallait reconstruire le pont de Kermélo à son emplacement actuel.
Le projet de M. l'agent voyer en chef ne tient pas debout. . . Pourquoi ne pas, pour en finir, confier à une autre personne technique le soin de dresser ce projet ?
En août une maison de Nantes propose au préfet un pont en béton armé qui serait construit au même emplacement que le pont actuel.
A l'issue de la visite annuelle du 26 novembre 1910, l'agent voyer en chef fait remarquer qu'on ne peut dissimuler que l'ouvrage atteint son extrême limite de durée et qu'il importe de prendre au plus tôt, une détermination au sujet de sa reconstruction.
Le 21 janvier 1911, sur la proposition de Monsieur Nail, maire de Lorient, à propos du choix du type d'ouvrage, le conseil est d'avis de ne rien préjuger quant au fond et décide la création d'une commission mixte intercommunale associant des membres du conseil de Plœmeur.
L'agent voyer en chef Bidu, saisi de cette demande répond au préfet qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'un projet émanant d'une maison sans mandat et s'étonne que ce projet soit qualifié d'intéressant. […] L'emploi du béton armé est un artifice de construction qui n'a sa raison d'être qu'en pays dépourvu de matériaux propres à une bonne maçonnerie.
Enfin, les ponts en béton armé construits jusqu'à ce jour sont incontestablement laids.
La commission intercommunale se réunit à trois reprises.
Elle entend M. Bidu, qui expose son projet ainsi que M. Chéreau ingénieur de la Maison Hennebique, au sujet de son projet de pont en béton armé. Il s'agit d'un ouvrage de soixante mètres, composé d'un arc central de trente mètres d'ouvertures, reposant sur deux piles en rivière et relié aux rives par deux demi-arcs de quinze mètres.
Au final, la commission conclut au rejet pur et simple du tracé proposé par le service vicinal pour la construction d'un pont à soixante et cent mètres du pont actuel. Elle prie le préfet de mettre à l'examen du service compétent le projet de construction d'un pont en ciment armé présenté par la Maison Hennebique, puis de mettre en adjudication ce projet qui donne satisfaction à tous les intéressés.
Ces conclusions sont adoptées par les conseils municipaux de Lorient le 3 juin 1911 et de Plœmeur le 11.
4ème et dernier projet
Le 18 septembre 1911 la commission intercommunale réunie en présence de messieurs Bidu et Chéreau adopte les dispositions suivantes : le pont construit à peu de distance de l'ancien sera constitué d'une seule arche de 30 mètres. Le sommet d'intrados de l'arc sera à 2 m au-dessus du niveau des hautes mers. La chaussée fera 4,90 m et les deux trottoirs 1,20 m.
Le 3 novembre, l'agent voyer d'arrondissement Lenoble constate la présence de 19 à 20 fils cassés sur deux câbles de suspension. La prudence commanderait d'interdire le pont à la circulation des voitures et à ne tolérer que le passage des piétons limités au nombre de 20 et des animaux isolés et non montés.
Le projet de la maison Hennebique, évalué à 115 000 francs, est soumis à enquête.
- A Lorient, du 29 décembre au 12 janvier 1912, aucune réclamation n'est enregistrée. Le commissaire enquêteur est d'avis que le projet est acceptable dans son ensemble sans autre modification. Le conseil municipal l'approuve le 24 juin.
- A Plœmeur, elle a lieu du 25 mars au 9 avril 1912 et fait l'objet d'une seule réclamation de la veuve Guenno au sujet du prix offert pour son terrain. Le commissaire enquêteur est donc d'avis qu'il y a lieu d'adopter le projet présenté par la maison Hennebique, modifié d'après les nouvelles bases du service vicinal. La semaine suivante, le conseil donne son accord.
◊ Compte tenu de l'état inquiétant du pont, M. Bidu réitère son souhait de voir interdire la circulation des voitures et de ne tolérer que le passage des piétons.
Le 23 juin 1912, jour de la fête des Coureaux, sur ordre du préfet les gendarmes à cheval Audran et Puren se rendent au pont de Kermélo pour effectuer des comptages. Ils constatent qu'entre 6 heures du matin et 10 heures du soir il est passé 29 voitures suspendues à deux roues attelées d'un seul cheval allant dans la direction de Larmor et 7 automobiles.
Venant de Larmor dans la direction de Lorient 25 voitures et 2 automobiles.
Vu le grand nombre de piétons passant sur cet ouvrage, plusieurs voitures et automobiles sont passées par le bourg de Plœmeur au lieu de traverser.
L'agent voyer cantonal évalue à 10 000 le nombre des piétons ayant emprunté le pont le jour de la fête des Coureaux.
Les jours de marché à Lorient, la circulation des voitures à traction animale est plus importante : en moyenne 60 dans les deux sens. Quant aux automobiles qui franchissent le pont, elles sont en moyenne de 12 par jour à l'exclusion des jeudis et dimanches où la moyenne doit être portée à 15. Enfin, les jours ordinaires le nombre des piétons à traverser le pont est très variable entre 100 et 1000.
Dans son rapport du 18 juillet sur l'état du pont suspendu, l'agent voyer d'arrondissement Lenoble considère à propos de la solidité des câbles qu'il ne faut actuellement leur demander que d'assurer le passage des piétons et des voitures vides. Il estime qu'il y a lieu de réglementer à nouveau la circulation en revenant aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 2 février 1905.
Mais il faudra attendre encore 5 mois pour que le préfet prenne enfin un arrêté dans ce sens.
Le 31 juillet, la commission départementale, agissant par délégation du conseil général, approuve la rectification du chemin d'intérêt commun n°92 aux abords du futur pont de Kermélo. Il déclare d'utilité publique les travaux et admet le principe de la construction du pont selon la méthode Hennebique.
Monsieur Leinekugel-Le Cocq, gendre de monsieur Arnodin, polytechnicien, ingénieur hydrographe spécialisé lui aussi dans la construction de ponts suspendus, en passant sur le pont de Kermélo pour se rendre dans sa famille a fait une constatation d'une très grande importance puisqu'il parait que la chute de l'ouvrage est imminente.
Craintes exagérées selon les agents voyers.
Le 10 décembre 1912, M. Chéreau adresse les plans d'exécution du pont de Kermélo. Il suggère de fournir au préfet la liste des entrepreneurs aptes à donner une bonne exécution des travaux et de procéder à une adjudication restreinte sauvegardant les intérêts du département et donnant l'assurance aux intéressés que le travail sera toujours conçu et exécuté de la façon demandée.
Le 14 février 1913, l'agent voyer en chef met la touche finale à un volumineux dossier qu'il soumet au préfet. Les travaux sont arrêtés à la somme de 124 200 francs, soit 9200 francs de plus que le projet initial, ainsi répartis :
Département 68 863
Lorient 35 574
Plœmeur 19 763
Le lendemain, M. Chéreau au nom de la maison Hennebique demande de pouvoir commencer les travaux le plus tôt possible.
Les concessionnaires de la maison Hennebique choisis par elle, sont prévenus qu'ils sont admis à prendre part à l'adjudication restreinte qui aura lieu à la préfecture le 28 février.
Le conseil municipal de Plœmeur réuni le 16, vote un emprunt de 20 000 francs remboursable en 30 ans au moyen d'une imposition extraordinaire de 2,36 centimes.
Lorient, décide d'un emprunt de 35 600 francs sur 20 ans et d'une imposition de 0,58 centimes.
Le conseil général souscrit également un emprunt sur 30 ans de 68 863 francs.
L'adjudication au rabais a lieu le 28 février 1913. Cinq entrepreneurs ont été convoqués.
Bonduelle-Martineau rue Bayard à Concarneau qui consent un rabais de deux francs par cent francs est déclaré adjudicataire.
Les travaux commencent aussitôt.
Le 24 juillet 1913 le président de la République, Raymond Poincaré, déclare d'utilité publique la rectification du chemin vicinal d'intérêt commun n° 92.
Le 11 août, le préfet lance la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'avertissement des parties intéressées sera publié à son de trompe ou de caisse et affiché tant à la porte principale de l'église, qu'à celle de la maison commune. Il est également inséré dans "Le Nouvelliste du Morbihan" du 19 août.
L'arrêté préfectoral d'expropriation des propriétés à acquérir est pris le 13 septembre.
Le jury d'expropriation composé de quatre jurés venant d'Hennebont, Caudan et Guidel se réunit le 26 mars 1914. Il fixe les indemnités à verser aux propriétaires touchés :
Le Guénézan 1 738
Le Botlanne 247
Le Guenno 1 780
Tréhan 2 620
Le Pogam 143